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Les 35 heures.

Au hit parade des sottises économiques, je demeure intimement convaincu que l'on a rarement fait mieux.

Si l'on se fie à leurs théoriciens, Dominique Strauss-Kahn et Martine Aubry, elles ont créé des emplois... S'ils le disent, c'est que c'est vrai. Ceci étant, il faut se souvenir que ces créations se sont essentiellement concentrées sur le secteur public alors que, dans le même temps et pour de simples raisons de "compétitivité", quel vilain mot, elles ont détruit des entreprises et donc des employeurs. Il a même été dit qu'elles auraient soutenu l'économie comme la corde soutient le pendu !

J'ai encore en mémoire la conversation que j'avais eu avec un de mes patients, il y a bien longtemps, au lendemain de l'élection de François Mitterrand. Je le suivais depuis un temps suffisant pour connaître ses opinions et, lui, les miennes ce qui nous procurait le grand plaisir d'échanger, au cours des consultations ou devant un café, nos points de vues sur la politique et l'économie, d'autant qu'il l'enseignait en faculté et avait publié plusieurs ouvrages sur ce sujet.

Dans la semaine qui a suivi ce fatidique dimanche 10 mai 1981, il est venu à sa consultation, un grand sourire aux lèvres, l'oeil pétillant de malice et une rose à la main en me disant, " tenez, c'est pour vous ".

S'il est normal de se réjouir de la joie de ceux pour lesquels on éprouve de la sympathie, cette rose me restait en travers de la gorge. Lorsque, quelques minutes plus tard, il a commencé à me démontrer comment la réduction du temps de travail, des 40 heures de l'époque vers les 35, en passant par l'étape des 39, allait régler le problème du chômage, je l'ai interrompu :

- Stop, stop, halte... On va raisonner simple, allez, 20 heures au lieu de 40, mais 20 heures payées 40 ?
- Bien sûr, sinon ça n'a pas d'intérêt.
- On est d'accord. Donc, d'un seul coup il faut deux fois plus de personnel pour faire le même travail, il n'y a plus de chômeurs et on a créé tellement d'emplois qu'il faut même faire venir des immigrés en plus qui, ainsi , voteront pour vous !
- Vous inquiétez pas, on a réfléchi, 35 heures suffisent à résorber le chômage sans avoir besoin de recourir à de la main-d'œuvre étrangère.
- Impeccable, tout est réglé, c'est le plein emploi, bravo. Mais que devient le prix du produit ou du service ?

- Oah, il augmente un peu...
- Attendez, s'il faut payer deux employés au lieu d'un, le prix double !
- Bon, oui, allez, il double.
- Je vous ai amené exactement où je voulais. Vous travaillez moitié moins qu'avant, en gagnant autant qu'avant, pour acheter un produit qui a doublé. Combien de temps vous devez travailler ?
- ... ?? ... Ben ... C'est vrai, après tout... Deux fois plus longtemps !

Il est très facile de réécrire l'histoire, je ne le sais que trop bien, mais cette conversation a réellement eu lieu, dans ces termes et à la virgule près. Ce qui m'avait beaucoup frappé, c'était de toucher du doigt à quel point un dogmatisme quasi religieux pouvait occulter le simple bon sens et, surtout, cette réponse "c'est vrai après tout" de la part de quelqu'un qui était tout sauf idiot. Ce patient a été le seul à me dire, quelques années plus tard, que j'avais eu parfaitement raison, qu'elles avaient affecté notre compétitivité internationale, favorisé des délocalisations et, donc, contribué à augmenter le nombre de chômeurs au lieu de le faire diminuer.

Bien sûr, cette démonstration est caricaturale. Rien n'est si simple ni si tranché mais il ne saurait y avoir de partage du travail sans entraîner un partage du salaire, sinon il ne s'agit que d'un enrichissement sans cause, ni, dans des économies interdépendantes telles que nous les connaissons, une prise en compte de ce que font les autres dans le même temps au risque de s'exposer à des phénomènes de dumping social comme nous le constatons actuellement.

Je redoute les élections de 2012 et, surtout, les programmes électoraux des divers camps. Après le "Travailler moins pour gagner autant" des uns, le "Travailler plus pour gagner plus" des autres, il serait bon que les électeurs s'imprègnent du fait que, pour partager de la richesse, il faut d'abord la créer ou, sous une autre forme, "si l'argent tombe du ciel, c'est parce que quelqu'un l'y a mis".

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