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Le "Devoir de réserve".

Ne se fondant sur aucun texte, il n'est rien d'autre que... "la loi du silence" de la fonction publique.

En effet, et bien que souvent invoquée pour justifier la sanction d'un agent, le concept d'un "devoir" ou d'une "obligation de réserve" ne figure dans aucun texte législatif ou réglementaire, pas plus que dans la loi n° 83-634, ou loi Le Pors, du 13 juillet 1983, qui reste le texte de référence des droits et obligations des fonctionnaires.

Laissons de côté l'obligation évidente au respect d'un minimum de "secret professionnel" dès lors qu'il s'agit de policiers, de magistrats ou, encore, de militaires dans l'exercice de leurs fonctions.

Par contre, c'est tout à fait délibérément que ce devoir de réserve n'a pas été intégré aux obligations des fonctionnaires puisqu'un amendement visant à en inscrire l’obligation dans la loi a été rejeté, à l’Assemblée nationale, le 3 mai 1983 au motif que celle-ci était "une construction jurisprudentielle extrêmement complexe qui fait dépendre la nature et l’étendue de l’obligation de réserve de divers critères dont le plus important est la place du fonctionnaire dans la hiérarchie".

Il en ressort que ce sera, finalement, à la jurisprudence qu'incombera le soin de réguler certaines situations afin, le plus souvent, de protéger l'administration de la libre expression de ses agents.

Cette jurisprudence aura donc toute latitude d'appréciation et, donc, de sanction, avec le risque évident d'une large plage d’incertitude donc d'arbitraire puisque la porte est grande ouverte à une instrumentalisation d'un "devoir de réserve" qui ne serait rien d'autre qu'une "Omertà" visant à interdire la plus infime divulgation de ce qui pourrait être gênant pour l'Administration, en général, et pour la Hiérarchie, en particulier. Faute de barrières clairement définies, et c'est le cas, la tentation peut être grande de commettre, allez ... mettons ... sans s'en rendre compte ... un abus d'autorité.

Impensable ? Pas du tout ! Il suffit, pour s'en convaincre, de reprendre l'affaire Zoé Shepard qui confirme, s'il en était besoin, le texte de cette vieille chanson de Guy Béart : "... Le premier qui dit la vééééérité, il doit être exééééécuté ...".

De quoi s'agit-il, en fait ? Oh, rien de grave, rien d'autre qu'une fonctionnaire qui a osé écrire ce que tout le monde pourtant sait mais qu'il ne faut surtout pas dire. Pas une seule seconde il ne lui est reproché d'avoir exagéré ou menti, mais d'avoir officialisé, par ses écrits, ce qui n'était que de "notoriété publique" donc, en fait et juridiquement, sans valeur. Maintenant, il y a un témoin !

Que Zoé s'estime heureuse de n'être que sanctionnée. En Sicile, celle qui n'aurait pas respecté le sacrosaint "ne pas voir, ne pas entendre, ne pas dire" aurait terminé jetée à la mer, les pieds lestés d'un bloc de ciment. Ceci étant, il est vrai que, là bas, les repentis, eux, on les protège.

Allons, allons, pas de sinistrose. La France reste, tout de même, un bien beau pays qui, comme d'habitude, tente le grand écart entre la liberté d'expression à laquelle tout citoyen a droit, en vertu de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, et la tentation, par le système administratif, de se protéger contre cette même liberté d'expression.

Il n'en reste pas moins que la frontière est subtile, donc sujette à interprétation, entre l'expression d'une opinion découlant d'un engagement philosophique ou politique et la critique d'une situation de fait ou celle des éventuelles conséquences d'une décision législative ou administrative.

Si l'influence d'options personnelles peut paraître inacceptable, l'exposé de faits ou l'appréciation des conséquences d'une mesure doivent, par contre, être regardés comme une obligation au nom du devoir de compte rendu, également posé par la Déclaration de 1789.

En fait, et pour revenir au plus simple, une "décision" se doit d'être exécutée, ne serait-ce que pour de banales raisons de hiérarchie et donc de courroie de transmission, mais il apparaitrait que rien, absolument rien, n'interdise de la commenter avant, pendant et après sa mise en application, bien au contraire.

Ça y est, le couperet est tombé, elle est sanctionnée et c'est, tout de même, assez symptomatique d'une partie de notre mal Français. En URSS, celui qui aurait révélé un comportement asocial de serviteurs de l'État, donc du Peuple, aurait reçu, en grande pompe, la Médaille de l'Ordre de Lénine, tandis que les coupables, eux, auraient au moins fait l'expérience du Goulag. Pas chez nous, en aucun cas, ce coulage institutionnel que tout le monde entrevoit ne doit surtout pas être bousculé et, sur le fond, c'est très grave. Je ne déplore qu'une chose, celle de ne pas être en situation de lui attribuer la Médaille de l'Ordre du Mérite et de la nommer Ministre de l'Efficacité de la Fonction Publique.

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