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13 décembre 2009.

Complètement occulté par les résultats sportifs du week end et par l'état de santé de notre Johnny national, un autre mur de Berlin, franco-français celui-ci, est tombé dans une indifférence quasi totale.

Et pourtant, quel symbole, quel mur et quelle révolution ! A la demande de l'Europe, sans doute insistante, le transport voyageurs s'ouvre à la concurrence.

Nous venons enfin de tourner le dos à quelques petites lignes du préambule de la constitution de 1946, mais quelles lignes, celles qui sont notre boulet depuis bien longtemps. Il ne se sera jamais écoulé que 63 ans, une paille, avant que nous ne retrouvions la liberté, celle, toute bête, de choisir le train que nous souhaitons. Et encore, il faut se souvenir que la création de la SNCF, conséquence de la nationalisation des différents réseaux ferrés privés, remonte à 1938 et que cette vieille dame sclérosée atteint maintenant l'âge respectable de 71 ans.

Pas encore centenaire, certes, mais très rhumatisante et quelque peu Parkinsonienne lorsqu'il s'agit de renoncer à quelques images d'Épinal soigneusement entretenues et particulièrement vénérées, comme celle de la "Bête Humaine", celle du cheminot dont le métier n'était rien d'autre qu'une vocation et, enfin, celle de la glorieuse escarbille, stigmate du sacerdoce et de la traction à vapeur mais, maintenant, rabaissée au statut intouchable d'une vulgaire prime de plus.

Après l'ouverture à la concurrence du téléphone, après celle du gaz et de l'électricité, des compagnies aériennes, au tour, maintenant, du trafic voyageur sur le Réseau Ferré Français, le RFF. Nous allons assister aux mêmes réactions syndicales que lors des précédentes mises en concurrence et elles vont puiser, comme d'habitude, leurs justifications dans une démarche ferme, et fondamentalement altruiste, de défense de "nos intérêts"...

... Car nous ne serions finalement que d'incorrigibles sceptiques à l'esprit particulièrement chagrin si nous osions supposer, ne serait-ce qu'un seul instant, qu'il pourrait en être autrement, même si, parfois, certaines coïncidences semblent malheureuses.

Pour ne prendre qu'un seul exemple, les cheminots avaient, dans les années 80, la faculté de prendre une retraite, à l'évidence bien méritée, dès l'âge de 60 ans. Dans le but, tout à fait louable, de créer des emplois, le gouvernement de l'époque a fait voter une loi qui abaissait l'âge légal de la retraite en le ramenant de 65 à 60 ans. La grève déclenchée, presque simultanément, n'était en aucun cas dictée par la volonté de conserver l'éventuel privilège de "travailler 5 ans de moins que les autres", mais par la brutale prise de conscience d'une pénibilité qui ne les avait même pas effleuré jusque là, justifiant, tout à la fois, cette grève et l'obtention, au final, d'une retraite à 55 ans !

Toute autre analyse ne serait qu'une pure médisance et un piège tentant dans lequel, fort heureusement, l'usager moyen n'est pas tombé puisqu'il a persisté à assurer les grévistes de sa solidarité...

Cette mise en concurrence n'était techniquement envisageable qu'à partir du moment où notre vénérable SNCF se scindait en deux entités, ce qui fut fait il y a déjà quelques années. La première de ces structures, qui demeure une SNCF telle que nous la connaissons, avec des trains, des locomotives, des wagons, c'est à dire du matériel roulant, la seconde, le Réseau Ferré Français qui, comme son nom l'indique, ne concerne que l'infrastructure, les rails, les gares, la signalisation, bref tout ce qui permet à un train de circuler en sécurité. Pour simplifier à l'extrême, il faudrait comparer le RFF à une autoroute sur laquelle circuleraient des trains qui, en échange d'un péage, se verraient assurés d'une prestation de service en terme de qualité, de libre circulation, d'entretien et de sécurité du réseau.

Aujourd'hui, seule la SNCF a la possibilité de circuler et, surtout, d'assurer une autre desserte que la liaison la plus directe entre une ville étrangère et notre capitale. En effet, si un train Allemand peut parfaitement effectuer une liaison Berlin-Paris, il lui est interdit de continuer sur Brest, Limoge ou Marseille... Ce fameux "cabotage", car c'est le terme technique employé, ne peut qu'aller de pair avec l'ouverture à la concurrence car il en est la condition expresse. Il est bon de noter que, dans certains pays européens voisins, notre chère SNCF le pratique déjà, et depuis un bon moment, pour la plus grande satisfaction de voyageurs qui bénéficient, eux, des vertus d'une concurrence qui nous est refusée jusqu'à maintenant. Ouf... Ça va venir !

L'exemple du transport aérien, en ayant favorisé l'apparition et la multiplication des compagnies à bas coût, les fameuses "low cost", nous permet de savoir, par avance, ce que va apporter cette "révolution". Nous allons, enfin, être d'authentiques clients et non des "usagers", même si ce mot n'était plus censé avoir cours, et pouvoir profiter d'une guerre des prix, d'une surenchère dans la qualité de service, la ponctualité, la régularité, bref et en un mot, de tout ce dont notre vieille dame avait peu de raisons de se préoccuper puisqu'elle était seule sur la place, en pure situation de monopole.

"Camarade cheminot, je vais te donner un bon tuyau... Dès l'ouverture à la concurrence, tu entames une grève, dure et très longue, mais seulement après avoir acheté des actions des compagnies privées. Comme ça, tu seras gagnant sur tous les tableaux."Aussi, au cours des mois à venir, il va être très intéressant d'observer l'évolution de l'esprit maison de cette vénérable institution, à savoir le culte de la grève. Le recours quasi systématique à celle-ci va, assez rapidement, se heurter à la réduction de son impact et de son pouvoir de nuisance tout bêtement parce que si, demain, les trains de la compagnie "Dupond.fr" sont en grève, nous prendrons nos billets chez "Durand.com" !

Faute de pouvoir paralyser le réseau dans son intégralité, il pourrait apparaître comme parfaitement justifié de barrer les voies ou d'en démonter certains tronçons, ainsi que cela s'est déjà vu, réglant le problème à sa base mais en mettant aussi, ipso facto, les compagnies ferroviaires dans l'impossibilité d'honorer un contrat commercial né de la vente des billets et le RFF dans l'incapacité d'assurer la contrepartie d'un droit de circulation qu'il a perçu et qui, à ce titre, l'engage... Combien de procès pour abus de droit de grève ou pour non respect de contrat seront nécessaires avant que la concurrence ne soit totalement et librement assurée voire admise par les syndicats même si, fidèle à notre habitude, la France tentera de les épauler par quelques subventions voire, comme cela s'est déjà vu afin d'éviter l'ire de Bruxelles, par des "crédits garantis par l'État", donc par nous tous.

Et, au cas où ce n'est pas déjà prévu, l'Europe devra impérativement mettre en place une Autorité Indépendante chargée de l'attribution équitable des créneaux horaires, à l'image de celle des slots du transport aérien, afin d'éviter, par anticipation, que le transport des passagers ne se trouve pénalisé par la même distorsion de concurrence que celle dont a été victime le transport du fret.

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